On croise fréquemment des visages défigurés, des regards fuyants et des corps meurtris par le froid et l’abandon en flânant boulevard Lemonnier ou sur les berges du canal à Bruxelles. Bien connues des Bruxellois, ces scènes mettent en lumière un fait particulièrement troublant : la majorité des sans-abri de la capitale souffrent de graves addictions, souvent associées à des troubles mentaux chroniques.

Ces constats ne sont pas de simples sentiments ponctuels. Ils sont méticuleusement enregistrés, mesurés et analysés, notamment grâce à l’enquête menée par la professeure Mieke Schrooten (Odisee), l’intervenant de rue Bert De Bock et Stef Adriaenssens (KU Leuven). Leurs recherches, publiées dans Brussels Studies, s’appuient sur les profils que le groupe Diogène établit chaque année. Elles montrent que les addictions et les troubles mentaux, qui malheureusement concourent à détruire l’individu, touchent plus de la moitié des personnes sans-abri.
Informations clés sur l’interconnexion entre précarité et addiction en Belgique
| Catégorie | Informations Essentielles |
|---|---|
| Principales zones affectées | Bruxelles, Wallonie, régions urbaines densément peuplées |
| Profil des personnes touchées | Hommes majoritairement, personnes sans nationalité belge, Roms, femmes seules |
| Problèmes dominants | Addictions (alcool, crack, kétamine), troubles mentaux graves, instabilité financière |
| Source principale de données | Étude de Brussels Studies, centre Diogenes, chercheurs KU Leuven et Odisee |
| Impact saisonnier critique | Fin du Plan Grand Froid fédéral : 1 000 sans-abris recensés fin 2024 à Bruxelles |
| Références officielles |
Cette spirale descendante est due à ces deux faiblesses. Les statistiques révèlent notamment que les femmes sans domicile fixe ont 10 % plus de risques que les hommes de se tourner vers la mendicité, une situation aggravée par les addictions. Les Roms sont particulièrement touchés par cette réalité en raison de leur marginalisation systémique, qui les rend plus vulnérables à cette économie de survie. En revanche, les personnes bénéficiant de moins de soutien social – c’est-à-dire de subventions ou d’aides des CPAS – sont statistiquement moins susceptibles d’avoir besoin de contacter les services sociaux.
Cette précarité est en constante évolution. Les récentes décisions politiques l’ont accentuée. Les Régions et les communes sont désormais pleinement responsables du Plan Grand Froid, son financement fédéral ayant pris fin. Il s’agit d’un coût humain et logistique important à Bruxelles. Près de 1 000 personnes étaient toujours sans domicile fixe à l’hiver 2024, selon l’aide de Bruss. Si des solutions structurelles ne sont pas rapidement mises en place, ce chiffre déjà préoccupant pourrait augmenter.
L’initiative Nadja est particulièrement remarquable à cet égard. Elle propose une stratégie multidisciplinaire de traitement, de prévention et de réduction des risques liés aux addictions. Cette expérience démontre le lien étroit entre pauvreté et santé mentale, qui s’influencent mutuellement. Selon les experts du domaine, les comorbidités psychiatriques augmentent avec la précarité des conditions économiques, ce qui pèse sur les institutions, souvent en manque de financement.
Le sud du pays partage ce constat. Des substances comme le crack, la cocaïne et la kétamine sont consommées plus fréquemment en Wallonie, selon les centres de traitement des addictions. Selon certains experts, les conditions de vie de leurs usagers se sont dégradées plus rapidement, les qualifiant désormais de « très précaires », voire d’« invisibles ». Le renforcement des services spécialisés pour ces publics défavorisés et l’intensification des services grâce à la stratégie de proximité – une approche proactive qui vise à rencontrer les personnes là où elles se trouvent plutôt que d’attendre qu’elles se présentent dans un centre – sont deux recommandations qui ressortent.
Par conséquent, il devient évident que le modèle d’intervention doit évoluer. Des obstacles administratifs empêchent de nombreuses organisations d’adapter leur fonctionnement aux réalités locales. Cependant, des initiatives ont un impact significatif partout en Europe. Les quartiers périphériques de Lisbonne sont parsemés d’unités mobiles de santé mentale. À Montréal, des refuges hybrides combinent hébergement, traitement de la toxicomanie et services de santé mentale. La Belgique aurait intérêt à s’inspirer de ces techniques globales, particulièrement efficaces dans les situations d’extrême pauvreté.
La visibilité est une autre préoccupation cruciale. Comme l’a justement souligné le GREA, l’expression publique de la pauvreté a davantage évolué ces dernières années que la pauvreté elle-même. La détresse est désormais visible dans les lieux publics comme les gares, les parcs et les bivouacs sous les ponts. Cependant, cette exposition n’a pas toujours donné lieu à une réponse adaptée. Au lieu de s’attaquer aux causes profondes, la réponse se limite trop souvent à contrôler la gêne perçue.
Certains témoins, quant à eux, proposent un message différent. L’ancienne présentatrice de télévision flamande Ilse Van Hoecke a récemment évoqué son propre combat contre l’alcoolisme. Le tabou a été partiellement levé grâce à ses aveux, accueillis avec surprise et admiration. Elle nous rappelle que la dépendance ne choisit pas son lieu ; Elle peut frapper des squats en plein cœur de la ville ou des villas en périphérie. Elle apporte un point de vue indispensable pour changer la perception du public en humanisant ce fléau.
